Compte-rendu de l'ouvrage La réalité virtuelle. Avec ou sans le corps.

Dans cet essai volontiers polémique mais rigoureusement argumenté, Alain Milon soutient, en convoquant quelques références philosophiques majeures (d'Aristote à G. Deleuze) que la virtualité ne peut être banalement pensée comme une « alternative à la réalité ». Rejetant opposition simpliste entre le virtuel et le réel, l'auteur propose donc d'envisager la virtualité comme un état parmi d'autres de la réalité et, plus précisément, comme une « mesure du réel ». S'intéressant à la question du corps virtuel (qu'il refuse de réduire à un corps artificiel), A. Milon développe une dynamique réflexion sur « l'imaginaire social que le corps virtuel dégage » et sur les multiples « représentations culturelles qu'il génère ». Il propose ainsi une critique acerbe du « corps de la cyberculture », un corps finalement absent, puisque sans matière, sans plasticité, sans visage, sans désir. L'auteur appuie sa démonstration sur une étude des divers stéréotypes qui aboutissent, dans la production cinématographique (de Terminator à Matrix, d'eXistenZ à Simone), à la mise en scène d'un corps « anesthésié », un corps-fantasme « déterritorialisé » parce que dématérialisé (donc dépourvu de chair). De même considère-t-il que les démarches artistiques de Sterlac (en quête d'un corps amplifié) et d'Orlan (visant au travers de ses cybermorphings la réalisation d'un « portrait-robot informatique ») manquent le corps. Au corps transparent, l'auteur oppose en conclusion, mentionnant les processus interactifs mis en jeu par le recours au logiciel Life Forms par le chorégraphe Merce Cunningham ou au cœur d'une installation (La Peau du monde, 1998) de M. Benayoun, un corps « obstacle » et « opaque », en fait « un corps immergé et augmenté qui restera, quoi qu'il arrive, réel ».

Corps / Revue interdisciplinaire
N° 1, octobre 2006, Ecrire le corps